De fait, le public se mire dans les panneaux réfléchissants au dernier acte, donnant l’illusion d’un «théâtre dans le théâtre» comme la pièce Pyrame et Thisbé jouée par la troupe d’artisans le suggère. C’est peut-être aussi une allusion au fameux «Globe Theatre» de Shakespeare, de forme circulaire.
Un ballet d’elfes-lucioles sous la voûte étoilée
La beauté des costumes conçus par Laurent Pelly et la part d’irréel – avec une large part dévolue aux lumières réglées par Michel Le Borgne – chatouillent agréablement les sens. Le spectacle s’ouvre sur le ballet nocturne des elfes et des fées. On est tout de suite happé par les voix d’enfants, dont les visages grimés de blanc se détachent dans un ciel noir constellé d’étoiles qui bougent. On dirait un escadron de lucioles.
Surgissent ensuite le roi Obéron et son épouse Tytania, la reine des fées, qui se chamaillent dans les airs au sujet de l’appropriation d’un jeune page – déjà une composante érotique. Ils sont perchés au bout de grues mobiles qui les déplacent d’un point à un autre, bras articulés de manière invisible par une armée de machinistes. C’est assez spectaculaire.
On plonge dans ce monde onirique avec ses parts d’ombres et de lumières. Œuvrant au service du roi Obéron et appelé à manipuler les désirs de jeunes gens, l’elfe Puck – mi-gnome mi-humain formidablement incarné par Faith Prendergast – se trompe lorsqu’il administre une herbe magique aux amoureux endormis. Les deux couples (Lysander/Hermia, Demetrius/Helena) sont mélangés, et c’est alors que commence une pagaille des sentiments.
Formidable Bottom en salopette rouge
Exit la forêt enchantée, le plateau est nu. Il n’y a guère que des lits pour suggérer les émois – ou plutôt les ébats amoureux – des protagonistes vêtus de pyjamas. Car au-delà du sentiment, c’est l’éros qui gouverne leur conduite. Une part de nudité infeste la pièce pour y ajouter une touche d’érotisme virant au burlesque lorsque la reine des fées se retrouve dans les bras de Bottom. Marie-Eve Munger, à la voix pulpeuse, campe merveilleusement Tytania. Admirable prestation du baryton basse David Ireland en Bottom, coiffé d’une tête d’âne, dont on devine les ardeurs sous le slip.
C’est ce voyage au cœur du désir humain que nous donne à voir Laurent Pelly, avec en sus la pièce de théâtre Pyrame et Thisbé au dernier acte. Un grand miroir oblique permet d’entrapercevoir les six artisans en pleins préparatifs, en train de se changer à la va-vite, avant d’entrer en scène. Ils multiplient les maladresses, dans leurs déguisements de fortune, sous l’œil amusé du roi Thésée, de la reine Hippolyta, et des deux couples d’amoureux recomposés. Les spectateurs dans la salle rient de bon cœur, se joignant aux spectateurs sur le plateau, dans une complicité intrigante.
Un orchestre prodigieux
Il n’y a aucun maillon faible dans la distribution avec l’excellent contre-ténor Christopher Lowrey en Obéron. La Maîtrise Opéra du Conservatoire de l’Opéra de Lausanne est remarquablement préparée. Le chef Guillaume Tourniaire orchestre avec flair et talent le spectacle entier, à la tête d’un Orchestre de chambre de Lausanne prodigieusement réactif, aux interventions solistes remarquables (cordes, vents et percussion). On sort de cette représentation ébloui par tant de poésie – et l’on se dit que ce genre d’opéra de chambre correspond parfaitement aux dimensions de l’Opéra de Lausanne.
«Le Songe d’une nuit d’été», Opéra de Lausanne, jusqu’au 31 décembre.