AboFéerie lyrique à LausanneLe «Songe» miraculeux de Laurent Pelly à l’Opéra
Le magicien sublime la pièce de Shakespeare, vivifiée par la musique de Britten. Enchantements sur scène et dans la fosse.

- L’Opéra de Lausanne accueille «Le Songe d’une nuit d’été» de Britten.
- Guillaume Tourniaire et Laurent Pelly collaborent avec succès pour cet événement.
- La mise en scène féerique inclut miroirs mouvants et machineries invisibles.
- Performances remarquables de Marie-Eve Munger et Christopher Lowrey.
Ce devait être une chaude nuit d’été et c’est la plus longue de l’hiver! «A Midsummer Night’s Dream» de Shakespeare, dans la parure qu’en a donné Benjamin Britten en 1960, a vécu sa première représentation lausannoise dans la soirée de dimanche. L’Opéra de Lausanne reprend ce «Songe d’une nuit d’été» créé il y a deux ans à Lille avec un tandem miraculeux: Guillaume Tourniaire à la baguette et Laurent Pelly, qui signe mise en scène, scénographie et costumes. La meilleure évasion possible durant les Fêtes par le rire et le rêve.
Pour ces deux artistes, il s’agit de retrouvailles lausannoises longtemps attendues. Après son bref passage à la tête de l’Ensemble vocal de Lausanne, Guillaume Tourniaire a poursuivi une carrière de chef d’orchestre et d’opéra jusqu’en Australie. Il est invité pour la première fois à l’Opéra de Lausanne. Quant à Laurent Pelly, il n’y était plus revenu depuis ses inoubliables «Contes d’Hoffmann» d’Offenbach en 2003.
Une surprise à chaque soupir
Bien que raccourcie et simplifiée par Britten, la pièce la plus farfelue de Shakespeare conserve tout son suc enivrant et les mots mêmes du poète. En phase avec sa fantaisie irréelle, la musique du compositeur anglais s’affranchit des conventions ou s’en moque. Extraordinairement expressive malgré l’absence de mélodies, capricieuse, mystérieuse ou bondissante, elle diffracte l’orchestre avec autant de raffinement que d’économie de moyens, sans jamais couvrir les voix. Un terrain de jeux épatant pour l’Orchestre de Chambres de Lausanne, qui brille en fosse sous la conduite de Guillaume Tourniaire, comme les étoiles que Laurent Pelly fait descendre du ciel nocturne.

Les vents et les cordes accompagnent le monde des amants, ces deux couples aux attirances contrariées par les enchantements des personnages surnaturels – Obéron, Titania, Puck et leur troupeau d’elfes et de fées issus de la Maîtrise du Conservatoire de Lausanne – habillés par des instruments magiques (harpe, clavecin, célesta, percussion), tandis que le sextuor des «rustres», ces artisans comédiens naïfs, déclame leur pièce de théâtre aux sons burlesques des bassons, trombones et trompettes.

Ces êtres appartenant à des mondes étrangers interagissent non sans étincelles et drôlerie. Ils bénéficient d’une distribution sans faille, à la diction parfaite, vocalement très solide et d’une sidérante aisance théâtrale. À défaut de les citer tous, on saluera les performances de haute voltige vocale et scénique de Marie-Eve Munger, plantureuse Titania, et de Christopher Lowrey, Obéron tortueux. Sans oublier David Ireland, tonitruant Bottom, inénarrable victime de la facétie de Puck qui l’affuble d’une tête d’âne.
Voici comment Britten lui-même décrivait le seul rôle non chanté de l’opéra: «Puck est un personnage fort différent des autres. Il m’apparaît comme étant à la fois totalement amoral et parfaitement innocent. Il a 15 ans, il ne chante pas, il ne fait que parler et se laisser tomber à droite et à gauche.» La comédienne Faith Prendergast prend ces instructions à la lettre en vraie acrobate spirituelle.

Un plateau vide, des miroirs mouvants, des lumignons et des loupiotes éclairant les loupiots, deux machineries invisibles pour faire voler les esprits et des lits à roulettes pour les amoureux en pyjamas: les ingrédients a priori si simplets de Laurent Pelly contribuent pourtant à créer la plus incroyable rêverie amoureuse et nocturne, au diapason d’un verbe insaisissable et d’une musique étourdissante.
Lausanne, Opéra, jusqu’au 31 décembre, www.opera-lausanne.ch
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